7 novembre 2024

Sections départementales

L’école forteresse…

L'école forteresse…

Hautes grilles, portiques tourniquets, caméras de vidéosurveillance, sas et couloirs d’accès, contrôle des sacs et des identités, pancartes d’avertissement… Il n’a échappé à personne que les établissements scolaires - tout particulièrement les collèges et les lycées - se transforment en forteresses, de plus en plus retranchés du monde.

Être élève dans un collège aujourd’hui, c’est faire l’expérience quotidienne de formes de contrôles toujours plus pressantes. Fini le temps où le portail restait grand ouvert pour laisser entrer ou sortir le flux des élèves en début ou fin de journée. Les entrées et sorties sont désormais filtrées et contrôlées. Il faut passer un à un, montrer patte blanche en regard des normes en vigueur – ouvrir son sac pour un contrôle visuel dans le cadre de Vigipirate, exhiber son carnet de correspondance (chaque oubli est sanctionné), ajuster sa tenue (pour les filles surtout), se défaire des signes extérieurs de son identité religieuse éventuelle (pour les filles musulmanes surtout) pour satisfaire aux exigences de la loi de 2004 sur la laïcité à l’école. A l’intérieur même, les accès et les circulations restent étroitement contrôlés. La dernière innovation sécuritaire en Ardèche est la fermeture automatique de tous les accès aux locaux pendant la pause méridienne, seuls les détenteurs de « badges » peuvent circuler librement.

Pour les familles et les visiteurs extérieurs, il faut s’armer de patience et de bonne volonté pour entrer. Demander l’ouverture via l’interphone ne suffit plus, il faut désormais attendre (parfois longtemps) qu’un personnel soit disponible pour venir vous chercher et vous accompagner dans l’établissement, sans oublier de vous faire signer le registre d’émargement. L’accès aux toilettes devient même parfois difficile si vous n’êtes pas en possession d’un badge.

Cette conception de l’école comme un « sanctuaire » protégé du monde n’est pas nouvelle. Elle repose sur l’idée que le monde représente un danger et que, pour apprendre, l’élève doit être coupé des sollicitations extérieures. L’élève lui-même devient une menace potentielle qu’il convient de contrôler. La forme scolaire actuelle est autant héritée d’un vieux modèle monastique, que de celui de la caserne (qu’on pense au retour de l’uniforme ou au SNU) et de la prison. Ainsi, la plupart des espaces scolaires sont conçus comme des lieux d’enfermement et de contrôle. En dehors de la salle de classe où les élèves sont sous le contrôle direct de l’enseignant, les autres espaces sont plus pensés du point de vue sécuritaire que de celui de lieux de vie. Le cas est flagrant avec la cour de récréation : à l’instar de son équivalent carcéral, c’est presque toujours un espace central, bétonné, avec peu d’aménagements, sans aucun recoin qui permette d’échapper à la surveillance constante des adultes. Il n’y a guère que dans les toilettes que les élèves peuvent s’y soustraire…

Dans un contexte d’état d’urgence devenu permanent après les attentats de Charlie Hebdo, de Nice et du Bataclan, l’école et ses personnels sont devenus une cible spécifique avec les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard. Cela justifie aux yeux des décideurs une surenchère sécuritaire permanente dans un contexte d’extrême droitisation du débat politique. Aux plans Vigipirate niveaux « rouge » ou « écarlate » du Ministère de l’intérieur, répondent les exercices « alerte intrusion » du MEN. A leur niveau respectif, le Conseil départemental de l’Ardèche et la Région AURA affichent « la sécurité » comme leur priorité, avec le renforcement des clôtures, l’installation des caméras de vidéosurveillance, les badges qui verrouillent l’accès aux locaux, etc.

Pourtant qui peut croire que ces mesures protègent ? On voit mal comment la « sécurisation » des établissements pourrait amener une réelle sécurité et empêcher la violence d’entrer (cf l’assassinat de Dominique Bernard), les caméras ne protègent de rien, quoiqu’en disent les élus départementaux* ! En revanche, on voit très bien les logiques de contrôle et d’enfermement se déployer à l’encontre des jeunes. L’objectif de l’école est pourtant d’émanciper, notamment en aidant les élèves à comprendre le monde, pour former des adultes responsables conscients des enjeux et capables d’agir de façon libre et éclairée. Dans cette perspective, il est urgent d’inverser le paradigme : ouvrir l’école sur le monde, développer les échanges avec les familles, les associations, sortir des murs en multipliant les sorties et voyages scolaires. Il faut également repenser les espaces scolaires comme des lieux de vie accueillants et ouverts sur l’extérieur au lieu d’espaces semi-carcéraux. A l’opposé des méthodes des collectivités territoriales en charge de l’école qui imposent leurs priorités selon leur agenda politique délétère, il est urgent de mettre en débat l’aménagement des espaces scolaires, leur insertion dans le tissu urbain et social et, peut-être, de faire confiance aux usagers de l’école (personnels et élèves) pour décider eux-mêmes de ce dont ils ont besoin.

* La majorité départementale récuse le terme de vidéosurveillance et préfère parler de « vidéoprotection ».