Puisque l’objet de ce Conseil Départemental de l’Éducation Nationale est de faire le bilan de la rentrée, alors disons-le clairement, l’école et ses personnels ne vont pas bien. Chaque rentrée est pire que les précédentes, comme en témoigne la souffrance des personnels et les démissions qui augmentent proportionnellement à la dégradation des conditions de travail, d’enseignement, et à la perte de sens de nos métiers.
Face aux difficultés de la rentrée, c’est devenu une habitude, c’est le déni qui l’emporte dans la communication officielle : ainsi, à la suite du ministre, monsieur le directeur académique, vous affirmiez dans la presse locale « [qu’]en Ardèche, tous les élèves [auraient] un professeur à la rentrée ». Or, comme les années précédentes, nous pouvons témoigner que des professeur(e)s - auxquel(le)s il faut ajouter des personnels médico-sociaux et administratifs - manquaient dans de nombreux collèges et lycées du département. Sur la forme, nous nous permettons d’alerter sur les effets délétères d’une communication officielle qui s’éloigne dangereusement de la réalité vécue par les personnels et qui contribue à accroître leur défiance envers leur institution.
Sur le fond, comment pourrait-il en aller autrement avec la grave crise d’attractivité de nos métiers et la poursuite des suppressions de postes ? Devenir professeur(e) en France, c’est être assuré d’avoir un salaire parmi les plus faibles d’Europe, mais aussi les classes les plus chargées et un temps de travail parmi les plus élevés !
La revalorisation « historique » des salaires n’a pas eu lieu, quoiqu’en dise, là encore, la propagande ministérielle diffusée massivement à la rentrée. Pour 70% des professeur(e)s, elle reste inférieure à l’inflation ; elle acte donc la poursuite de la baisse des salaires réels. Comme l’a montré une étude récente, la notion même de carrière est une illusion, dans la mesure ou « les gains apportés par les promotions d’échelon sont globalement annulés par l’inflation avant que la promotion suivante ne survienne. » Cela revient à monter un escalator qui descend ! De plus, ce que le ministère persiste à appeler revalorisation, repose essentiellement sur des primes forfaitaires non prises en compte pour le calcul des retraites.
Ce déclassement salarial est encore plus violent pour les enseignant.es contractuel.les, les assistant(e)s d’éducation et les assistant(e)s d’élèves en situation de handicap. Car si la CDIsation permet enfin à ces personnels de se projeter d’une année sur l’autre, cela se fait bien souvent à temps incomplet, donc à salaire moindre. Quant aux grilles d’évolution indiciaires, lorsqu’elles existent (ce n’est pas le cas pour les AED) , elles relèvent du mépris pur et simple.
La réponse qui consiste à prendre prétexte de la faiblesse des salaires des enseignant(e)s pour proposer un « pacte » invitant à travailler plus tout en fragilisant nos statuts est une provocation ! Ce n’est pas pour rien que la totalité des organisations syndicales s’y sont opposées. En individualisant encore davantage nos missions et nos rémunérations, en mettant nos collègues en concurrence, sous l’arbitrage des chef(fe)s d’établissement, le pacte éloigne toute perspective de revalorisation commune, abime les collectifs de travail et creuse les inégalités salariales.
Autre signal alarmant, la réalisation de certaines missions obligatoires est désormais conditionnée au volontariat des personnels chargés de les mettre en œuvre (c’est le cas du dispositif « devoir fait », devenu obligatoire pour les élèves de 6e mais sans financement prévu autre que le pacte).
Les missions de service public doivent bénéficier des moyens dédiés à leur exécution !
En matière de remplacement, le gouvernement se défausse sur les personnels d’une situation dont il est le premier responsable. Avec la priorité mise en œuvre pour les remplacements de courte durée (RCD) dans le cadre du « pacte », ce sont désormais les équipes qui sont mises sous pression pour travailler plus d’un côté et, pour réduire leurs absences de l’autre. La mise en place et le suivi par l’administration d’un taux d’absence et de remplacement pour chaque établissement met en péril la poursuite de nombreux projets pédagogiques (voyages scolaires, sorties, etc.) ainsi que la formation continue des personnels, renvoyée intégralement hors temps de service l’an prochain. Déjà réduite à peau de chagrin, c’est l’arrêt de mort de cette dernière qui vient d’être prononcé. Dans quelle profession la formation continue serait-elle à suivre après une journée de travail ou pendant les congés ? Aucune sauf à l’Éducation nationale ! Nous mettons en garde contre la tentation d’imposer des formations obligatoires en dehors du temps du travail, ce qui ne pourrait qu’accroître les tensions. La formation est un droit et une nécessité, pas une punition !
Par ailleurs, nous alertons en particulier les parents d’élèves sur la tromperie que constitue le dispositif de RCD. Lorsque n’importe quel professeur peut remplacer au pied levé n’importe quel autre, sans nécessairement connaître les élèves, ni les progressions pédagogiques, ni respecter le volume horaire des matières, où est l’intérêt des élèves ? Ce n’est pas un dispositif de remplacement, mais de garderie !
Quant à la prise en charge par des AED (dans leur temps de travail), cela existe déjà, cela s’appelle la permanence. Nous rappelons que les difficultés en matière de remplacement sont le fruit de choix politiques qui ont privilégié les suppressions de postes et réduit le nombre de TZR.
C’est dans ce climat déjà bien morose que nous avons eu la stupeur et l’effroi d’apprendre l’assassinat de notre collègue Dominique Bernard 3 ans après celui de Samuel Paty. Nous sommes désormais devenus des cibles pour ce que nous représentons en tant qu’enseignant(e)s ! Si nous saluons les nécessaires et bienvenus témoignages de soutien de la part de l’institution, des élus, des parents, des élèves parfois, nous sommes profondément inquiets des dérives qu’il risque d’engendrer. La réponse du tout sécuritaire consistant à bunkeriser les collèges et les lycées (par des dispositifs policiers et de vidéo surveillance, par la multiplication d’exercices alerte attentats, etc.) ne résoudra pas les problèmes de violence et d’insécurité que rencontrent parfois les élèves et les personnels. Au contraire, elle ne peut que conduire à accroître les tensions, en renforçant un climat de défiance généralisé.
Le filtrage des entrées avec l’ouverture des sacs des élèves par les AED qui a été mis en place dans certains établissements après le 13 octobre est à cet égard inacceptable. Les AED ne sont pas des agents de sécurité. Qui peut croire qu’un tel dispositif empêchera un élève d’apporter une arme s’il lui en venait l’idée ? En revanche, nos élèves en ont témoigné, tout le monde se sent installé dans un climat de suspicion généralisé. Il en va de même pour la lutte contre le harcèlement, plutôt que des dispositifs répressifs et des protocoles inadaptés au fonctionnement de l’institution scolaire, nous demandons plus de professionnels d’éducation, plus de suivi médico-social (avec des assistant(e)s sociales, des infirmièr(e)s, psychologues, médecins scolaire). La prévention est un travail de fond qui demande du temps et des moyens supplémentaires pour accompagner les personnels, les élèves, les familles.
La tentation de transformer l’école pour en faire un outil de mise au pas autoritaire de la jeunesse est particulièrement alarmante. Après l’annonce par M. Amrane de sa volonté d’expérimenter le port de l’uniforme dans des collèges ardéchois, c’est désormais le Service National Universel (SNU) qu’on installe sur le temps scolaire, en classe de seconde. Sur la forme, à mi-chemin entre colonie de vacances et camp militaire (avec lever des couleurs, uniforme et garde à vous), le séjour de cohésion de 12 jours proposé aux élèves pose de gros problèmes organisationnels, logistiques et sanitaires, comme en ont témoigné les nombreux et sérieux dysfonctionnements relevés par la presse depuis le début du dispositif, l’Ardèche ne faisant pas exception (citons les malaises à répétition lors des cérémonies de garde à vous).
Sur le fond, sous couvert d’éducation à la citoyenneté et de mixité sociale, le SNU est un projet éducatif au coût exorbitant qui disqualifie les enseignements scolaires au profit d’une conception autoritaire de l’éducation, le tout imprégné d’un simulacre de culture militaire. Sa mise en œuvre à marche forcée pour les élèves de seconde désormais sommés de choisir entre 2 semaines de stage ou de SNU est inacceptable. Nous dénonçons également l’organisation par la DSDEN de « rallyes citoyens » à destination des collégiens ardéchois qui, comme son nom ne l’indique pas, consiste notamment en un partenariat avec l’Armée, qui préfigure le SNU.
Nos élèves ont besoin d’école, pas d’armée !