25 septembre 2025

Sections départementales

Réalité alternative, univers parallèles et politique éducative

Alors que l’École s’enfonce dans une crise sans précédent, certain-es s’attachent à détourner l’attention et l’argent public en inventant des problèmes et une réalité alternative. Quand les médias et la hiérarchie se prêtent au jeu, que croire ?

« [Des jeunes collégiens] enfermés dans leur bulle, qui ne jouent plus ensemble, les yeux rivés sur leur téléphone pendant les récréations. »

O. Amrane, président du Département

« Assumons de prendre une décision qui peut apparaitre comme une sanction […] »

P. Dulbecco, recteur de l’académie de Grenoble

« Au moins, on ne pourra plus regarder son téléphone en classe »

Jules, élèves de 4e au collège du Pouzin

Ces propos qui ont inondé les médias la semaine de la rentrée semblent tout droit venir d’un univers parallèle. En partant d’un problème réel (la surexposition des jeunes aux écrans et aux réseaux sociaux), la presse relaie sans aucun recul ces déclarations hors-sol. N’en déplaise au Dauphine Libéré d’où est extrait la dernière, aucun élève ne s’appelle Jules en 4e au Pouzin.
Et d’ailleurs, ni dans ce collège, ni ailleurs, on ne regarde ouvertement son téléphone en classe… La raison en est toute simple : c’est interdit !

Interdire ce qui est déjà interdit, il fallait y penser !
Il fallait une bonne dose d’ignorance ou de mauvaise foi pour ne pas rappeler que, depuis 2018, « l’utilisation d’un téléphone mobile ou de tout autre équipement terminal de communications électroniques par un élève est interdite dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges ». C’est écrit en toutes lettres dans l’art. L511-5 du code de l’éducation et dans les règlements intérieurs des collèges ! Et si certain-es utilisent quand même leur téléphone, (en fraude, sous la table, dans les WC, au risque de confiscation et de sanction), c’est assez marginal. De l’avis général des enseignant-es et des chef-fes d’établissements, l’interdiction est plutôt bien respectée (cf déclaration de S. Venetitay pour le Snes-Fsu ou de B. Bobckiewicz pour le Se-Unsa) Bref, les problèmes posés par les téléphones ne se posent pas tant dans les établissements qu’en dehors du temps scolaire.

Mais la réalité n’intéresse pas nos décideurs qui préfèrent accréditer l’image d’une école laxiste face à une jeunesse laissée à la dérive.
Et de s’engager dans une surenchère démagogique et autoritaire qui révèle l’absence totale de pensée en matière de politique éducative. Ainsi, faisant suite à l’opération ministérielle de diversion de la rentrée (« portable en pause »), le Département de l’Ardèche a décidé d’imposer l’usage de pochettes magnétiques anti-ondes dans lesquelles les élèves doivent ranger leurs téléphones. Cette lubie coûtera la modique somme de… 200 000 € ! (financés entièrement par la collectivité, soit un tiers du budget pédagogique total pour les collèges).
Signe des temps, la mesure est soutenue par une hiérarchie aux ordres, du recteur au dasen en passant par une partie des chef-fes d’établissements qui accréditent le récit alternatif relayé par les médias. En se prêtant sans recul à cette communication biaisée, les cadres de l’EN s’enfoncent dans le ridicule et ne font qu’accroitre la défiance des personnels à leur encontre.

Côté pratique, c’est d’abord jeter l’argent public par les fenêtres (les mêmes nous parlent ad nauseam de gouffre budgétaire et d’efforts à partager…), d’autant qu’il ne sera pas bien difficile aux élèves qui le voudront de trouver des moyens de contourner le dispositif.
C’est ensuite créer une usine à gaz de plus qui va encore compliquer le travail de la vie scolaire (défi de faire « badger » des centaines d’élèves à chaque entrée/sortie, de gérer les pochettes, de faire payer aux familles les pochettes perdues, etc.).

Après les uniformes (achetés à prix d’or pour les élèves d’un collège privé ardéchois), la systématisation des caméras de vidéosurveillance, le renforcement tous azimuts de la sécurité (présence massive des forces de l’ordre devant les collèges le jour de la rentrée), on voit bien se dessiner une politique qui n’a « d’éducative » que le nom mais qui sert surtout des ambitions politiques plus ou moins personnelles… à des années lumières des besoins réels du service public d’éducation, du bâti scolaire, des personnels et des élèves !