La rectrice a reçu, avec le doyen des IPR, suite à sa demande, une délégation de professeur
Vous trouverez ci-dessous le compte-rendu rédigé par un de nos collègues de philosophie
La parole est donnée pour commencer aux deux professeurs de philosophie présents. Nous soulignons tous deux, mon collègue et moi-même, que la profession est très sceptique vis-à-vis de l’imposition de la plateforme Santorin par le ministère pour la correction de cette session du baccalauréat. S’agissait-il de gagner du temps ? A l’heure de l’audience, aucune copie n’a été réceptionnée dans l’académie là où les copies papiers dans l’ancien système auraient déjà été quasi toutes distribuées. J’enchaine en déroulant mon argumentaire : j’ai testé Santorin pour la correction des copies de candidats non-scolaires et je fais un retour d’expérience critique en soulignant le manque d’ergonomie de la plateforme qui ne tient pas une seconde la comparaison par rapport au papier/stylo.
Pourquoi faire compliqué quand on pouvait faire simple ?
Le manque de justification apportée par notre hiérarchie à la mise en place d’un tel système laisse libre cours aux interprétations, à la défiance.
Des données seront collectées. Quel usage en sera t-il fait ?
Nous n’ignorons pas les bouleversements d’une économie appelée à devenir « numérique ». A quoi va servir Santorin à l’heure des propos du Ministre sur l’intelligence artificielle appliquée à l’éducation ?
Nous voulons juste bien faire notre travail. J’exprime mes inquiétudes sur le caractère contre-productif de l’outil et déplore la disparition des commissions d’harmonisation et d’entente en présentiel qui pourrait constituer un précédent fâcheux. Mon collègue embraye sur les délais trop courts. Comment va-t-on les tenir ? Il prend l’exemple de l’écart de quelques heures entre la session d’harmonisation et la date de clôture de la rentrée des notes. Sur Santorin, il souligne l’impossibilité du tri par sujets qui est pourtant un acte indispensable. Il met en avant l’ineptie qu’il y a à nous faire imprimer les copies numérisées pour ensuite reporter appréciations et notes sur la plateforme.
La Rectrice prend ensuite la parole. Elle fait remarquer qu’il est hors de question de pérenniser des réunions d’entente et d’harmonisation à distance pour les années à venir. Sur la question de la transition numérique et de la dématérialisation, elle souligne qu’il s’agit de décisions remontant à plusieurs années. Il y a eu selon elle expérimentation et concertation sur l’outil en 2018 puis une mise en œuvre nationale pour la première session des e3c. Elle souligne que 85% des enseignants qui l’ont testé dans la phase d’expérimentation étaient satisfaits. Il s’agirait d’un choix irrévocable, partie prenante de la réforme du lycée. Les élèves seront même amenés selon elle dans un futur proche à composer sur ordinateur. « Il n’y a pas d’alternative » (sic). « On travaille autrement ». En somme on s’y habituera comme on s’est habitué aux smartphones. Elle fait même référence de façon surprenante à un concept d’Ivan Illich, le penseur de la contre-productivité de la technostructure, puisqu’il s’agit selon elle d’aller vers plus de « convivialité » de l’outil grâce aux améliorations successives qui pourront lui être apportées.
La Rectrice se désole que la crise sanitaire ait pu faire oublier à l’administration de communiquer davantage sur le sujet et former les personnels. Sur la question des impressions de copies à partir de la plateforme, elle affirme qu’il s’agit là d’une fonctionnalité qui devrait être réservée aux personnels présentant des difficultés à rester devant l’écran. Sur les questions des délais très courts de correction Madame la rectrice compatit au sort qui nous est fait. Elle l’attribue à la nécessité de basculer au cas par cas la note de contrôle continu par rapport à la note d’examen, ce qui va prendre beaucoup de temps. Elle répètera à la fin de l’entretien que contrairement à ce que l’on pourrait croire, les services « n’ont pas de marge » au niveau du calendrier. La situation semble tendue à tous les niveaux.
Au final, nous serions en quelque sorte victimes du sort « royal » (le terme est martelé plusieurs fois) qui est fait à notre discipline dans la réforme du lycée puisqu’elle est la seule épreuve terminale écrite du tronc commun à se situer au mois de juin. Nos difficultés à tenir cette session exceptionnelle de correction marquée par la crise sanitaire seraient en fait la contre-partie du prestige conféré à notre discipline dans le nouveau Lycée.
Sur la question de l’ergonomie de l’outil, Monsieur Martin reconnait que Viatique est mieux fait que Santorin. Mais seul ce dernier est public. Viatique ne saurait donc être utilisé à grande échelle. Il fera remonter mes critiques sur le manque d’ergonomie de Santorin.
Madame Baffert émet de sérieux doutes sur le taux de satisfaction devant l’outil qui est annoncé par la Rectrice. La spécificité de l’épreuve de philosophie avec des copies longues composées sur 4h n’était-elle pas à prendre en compte ? Mon collègue souligne avec ironie qu’en guise de reconnaissance du prestige supposé accordé à la philosophie - la rançon de la gloire ! -, il eût été mieux avisé de nous permettre de corriger dans des conditions dignes. Je reviens à la charge sur la question de la collecte et du traitement des données. Je répète que l’argument de la perte des copies papier ne me parait pas suffisant pour justifier de la mise en place d’un tel système. J’ai l’impression qu’on ne nous dit pas tout.
Madame la rectrice cherche à répondre à mes interrogations. Elle se refuse à me qualifier de « paranoïaque ». Nous pourrons corriger à notre rythme, comme nous l’entendons. Il est hors de question que l’on nous envoie des notifications pour travail trop lent ou trop rapide comme je l’avais suggéré. Elle-même affirme qu’elle ne voudrait pas vivre une seule seconde dans une société « Big Brother ». Il ne s’agit pas selon elle de « dresser les profs ». Ce serait « monstrueux ». Tout au plus, il s’agira pour les services du rectorat « d’accompagner » les collègues qui pourraient rencontrer des difficultés avec l’outil grâce à la supervision de l’outil informatique. Lorsqu’un lot est ouvert par un correcteur, affirme-telle, les services informatiques n’ont plus accès au contenu de la correction tout le temps de la correction. Il est vrai toutefois toujours selon Madame la Rectrice qu’il pourra être intéressant à l’avenir de s’intéresser aux big data issues de ces nouveaux outils pour avoir des données sur comment les élèves « apprennent, écrivent, conçoivent ».
Monsieur Moine abonde dans mon sens en soulignant qu’il s’agit bien de faire des gains sur les « contraintes de gestion » de l’examen au détriment du métier dans l’acte de correction (et au final de la correction elle-même). Madame la Rectrice ne le contredit pas. De plus, selon lui, l’acquisition de scanners permet de parer au problème de la perte des copies sans qu’il soit nécessaire de recourir à Santorin.
Madame Baffert exprime sa désapprobation vis-à-vis du vocabulaire compassionnel utilisé par la rectrice qui tend à nous infantiliser : nous n’avons pas besoin d’être « accompagnés » mais d’avoir des outils qui fonctionnent et des interlocuteurs capables de nous répondre en cas de problème.
Madame la rectrice conclut en faisant le bilan de notre entretien. Elle réitère ses excuses sur le caractère trop contraint des délais liés à la crise sanitaire. On sent poindre une certaine nervosité dans ses propos lorsqu’elle évoque le calendrier hyper serré à tenir pour ses services. Quant aux collègues qui refusent la numérisation, elle balaie cela d’un revers de main, laissant supposer que c’est là quelque chose d’inéluctable. Il s’agit là selon elle d’une œuvre de « simplification » même si cela peut paraître au début « plus compliqué ». Elle assène ce qui sera son mot final : « Je mesure les risques que nous prenons tous à tous les niveaux ».
Madame Baffert fait remarquer que pour les correcteurs convoqués dans ces conditions, il n’est pas certain que tous puissent tenir physiquement et mentalement un tel rythme de correction. Il ne faudra pas s’étonner si certains craquent !