Le ministère a publié un guide du contrôle continu comportant de multiples injonctions sur l’évaluation y compris pour les trimestres déjà écoulés !
Blanquer nous avait depuis son arrivée bien bousculé (et mis dans de graves difficultés, soit dit en passant) avec ses décrets publiés fort fort tardivement avant leur mise en application. Nous sommes désormais passés dans une toute autre dimension, celle des instructions rétro-actives !
Des consignes rétro-actives, sans valeurs réglementaires
En effet, que ne lit-on pas dans ce guide de l’évaluation publié le 10 février 2021 ce que nous aurions dû faire au premier trimestre, premier semestre et second trimestre !
Par exemple page 23 pour la STI2D, il est demandé au moins une note pour le premier semestre [...] attribuée à partir d’un travail écrit inspiré d’un sujet d’épreuve de spécialité de terminale publié sur la BNS ou d’un sujet 0 publié sur Eduscol, [...] évaluation organisée dans les conditions de l’examen des épreuves terminales de spécialité. Si on considère que de plus ce sujet a été mis en ligne début janvier…, voila des consignes qui laissent perplexes !
Fort heureusement, ce document n’a aucune valeur réglementaire. Mais il risque néanmoins d’accentuer les pressions sur l’évaluation qui sont déjà lourdes. Injonctions sur le type d’exercices, sur le nombre de devoir sur le "coefficientage" de la moyenne … c’est un festival !
Un document compilation bâclé
Au Ministère de l’Éducation Nationale, tout près du grand capitaine, on travaille désormais « à l’arrache », essayant tant bien que mal de piloter le super-tanker comme dans Mario-Kart. Il ne faut donc pas s’étonner que les passagers, élèves et professeurs, soient secoués pendant le voyage.
Et si le capitaine décide opportunément le 21 janvier (quelques jours avant un appel à la grève qui s’annonce suivi) de finalement renoncer aux épreuves de spécialité de mi-mars et promet un cadre précis pour un bac au contrôle continu, le 10 février un document est prêt.
Pour preuve de cette précipitation, l’étrange nom du document pdf « Guide_Evaluation_bac_2021_0 » , nom du fichier de travail qui ne reprend même pas le titre du document « Évaluer dans le cadre du contrôle continu »
Cela se confirme à la lecture de ce qui s’apparente à une compilation des copies rendues in-extremis par les inspecteurs généraux qui, eux, n’ont apparemment pas harmonisé leurs pratiques, certains ayant même fait de mauvais copiés-collés (STI2D p22 SI p59, mathématiques p11 et 51, etc.). Mais à l’ère Blanquer et de l’école de la confiance, il faut faire , même semblant !
Une mise au pas cadencé des professeurs
Si le texte s’en défend d’emblée (dans le respect de la liberté pédagogique de chaque enseignant peut-on lire), il remet sérieusement en cause notre liberté en multipliant les injonctions sur les types d’exercices, leurs nombres, les coefficients, … allant parfois jusqu’à détailler la mise en œuvre d’une évaluation en distanciel (p.46 pour HGGSP)
Une responsabilité accrue des enseignants face aux mécontentements des élèves et familles
La presque entière responsabilité de la délivrance du diplôme revenant aux équipes pédagogiques, on peut s’attendre à un interventionnisme sans précédent des familles et des chefs d’établissements.
Le guide veut une robustesse des moyennes trimestrielles ou semestrielles, garanties par un nombre minimal de notes par période, et un nombre suffisant d’exercices inspirés des sujets de baccalauréat libérés.
Il mentionne à plusieurs reprises des invitations à ouvrir nos parapluies : ... une réflexion nécessaire à l’échelle des équipes pédagogiques, … la stratégie d’attribution des notes doit faire consensus au sein de l’équipe disciplinaire afin de définir et surtout de rendre explicites pour les élèves et leurs responsables légaux
Mais qui est dupe de ses vaines invitations ? Car quelles équipes auront le temps de faire ce travail ?
Qui entrera entièrement dans ce cadre ?
C’est donc le ministère qui ouvre ici son parapluie, mais nous enseignants seront bien mouillés dans cette affaire !
Des invitations à l’harmonisation pour une grande tambouille locale
Le document indique vouloir mettre en place un cadre solide au sein duquel le contrôle continu permettra à la fois de garantir la pleine légitimité du baccalauréat comme examen national et la confiance que les établissements d’enseignement supérieur peuvent avoir dans l’évaluation menée par les enseignants dans les lycées.
Mais là encore, le pire est à craindre et d’autres documents diffusés par l’institution le montre clairement. Exemple avec un « Focus Evaluer en contrôle continu » du rectorat de Grenoble :
Dans chaque établissement […] « On veille à ce qu’à situations et conditions de travail comparables, les niveaux de notes (moyennes, écarts-types, etc.) soient à peu près égaux d’une classe à l’autre au sein du même établissement. »
Les moyennes, parce qu’elles révèlent des apprentissages définis par des programmes nationaux, gagnent à une auto-régulation en établissement pour corriger les biais docimologiques inhérents à toute évaluation.
Un subtile curseur devra donc être réglé dans les établissements entre taux de réussite au baccalauréat et réputation de qualité de formation pour l’enseignement supérieur.
Qui le réglera ?
Sur quels critères ?
Est-ce que cet établissement rural ou de milieu urbain défavorisé accueillant tous les publics ne favorisera-t-il pas le taux de réussite comme facteur de promotion sociale ?
Et cet établissement de centre-ville ne durcira-t-il pas encore ses exigences pour maintenir sa réputation quitte à recaler les moins bons ?
La fin du diplôme national
Un diplôme national a sa valeur reconnue sur l’ensemble du territoire. Pour y parvenir,
la plupart des pays développés ont adopté le modèle autrefois français de diplôme basé sur des épreuves nationales et anonymes.
Comment prétendre garantir la pleine légitimité du baccalauréat comme examen national sans l’impartialité d’un correcteur externe à l’établissement ignorant la provenance même de son paquet de copie ?
Sans l’exigence d’un examen identique pour tous les établissements, imposant à chaque enseignant une préparation minimale de ses élèves, quelque soit leur origine sociale et géographique ?
Qui assumera les conséquences pour nos élèves de ce faux diplôme national, véritable diplôme d’établissement ?
Des principes posés pour l’avenir
Le pire est toujours à venir avec Macron et Blanquer, et cette mise au pas ne se limitera pas à l’exception « imposée » par le Covid-19. Le document averti :
Ces principes […] sont évidemment pensés dans une situation sanitaire et de continuité pédagogique qui peut évoluer, et auront vocation à être adaptés si cette situation évolue. Par ailleurs, si ce guide est conçu prioritairement pour faire face aux aménagements de la session 2021, il pose des principes qui pourront être repris et précisés pour la part d’évaluation au contrôle continu des sessions suivantes.
Ça fout les jetons !
Rappelons que cette organisation n’est pas de la seule responsabilité d’une pandémie mondiale mais bien de choix délibérés d’économies et de tri social.
Il aurait été tout à fait possible d’organiser des épreuves écrites en juin pour évaluer les élèves mais cela aurait trop ressemblé au bac précédent dont Macron et Blanquer veulent faire disparaître jusqu’au souvenir.