5 décembre 2007

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Traitements et pouvoir d’achat des fonctionnaires

Traitements et pouvoir d'achat des fonctionnaires

Cette phrase, entendue de façon récurrente depuis plus de 20 ans, dans la bouche de ministres de droite comme de « gauche » ou relayée servilement par leurs valets médiatiques, a fait bondir plus d’un d’entre nous. Chacun peut mesurer quotidiennement à quels arbitrages de dépenses il doit se livrer et, prenant un peu de recul sur quelques années, à quel point son niveau de vie s’est dégradé. Il n’est pas si loin le temps où un professeur certifié en milieu de carrière pouvait, au-delà des dépenses incompressibles de logement, de nourriture, de déplacements, de vêtements et de vie quotidienne en général, pouvait s’autoriser quelques sorties culturelles, quelques pratiques sportives, quelques achats de livres ou de disques, etc. Il s’agissait de confort plus que de luxe et, si des arbitrages étaient nécessaires entre certaines dépenses, ils se faisaient à ce niveau et non sur le minimum vital, comme c’est le cas aujourd’hui. Vérité ou ressenti subjectif ? Chacun appréciera à l’aune de son histoire et de sa situation. D’autres articles feront plus tard le point sur la composante « évolution du coût de la vie » de notre pouvoir d’achat. Nous nous limiterons ici à l’autre composante, trop souvent oubliée par les commentateurs stipendiés, celle de nos rémunérations.

Nous devons aux gouvernements « de gauche » de la première moitié des années quatre-vingt les deux raisons mécaniques de la paupérisation des fonctionnaires , d’une part la désindexation des salaires sur les prix, d’autre part l’évaluation de la progression des rémunérations des fonctionnaires « en masse ». De quoi s’agit-il ?

Par le concours de recrutement initial ou par des procédures de promotion interne, chaque fonctionnaire est placé dans une catégorie (A, B ou C), un corps (Certifiés, Agrégés, CPE, COPsy, PEGC, etc.), un grade (Classe Normale, Hors Classe, voire Classe Exceptionnelle) et parcourt dans ce grade une échelle de rémunération selon un rythme qui peut être variable (ancienneté, choix, grand choix par exemple). A chaque échelon de chaque échelle de rémunération correspond un indice qui, multiplié par la valeur de ce point, en francs naguère, en euros aujourd’hui, détermine la rémunération de chacun. Le traitement est donc déterminé par deux éléments, d’une part la carrière, c’est-à-dire la place de chacun dans une échelle de rémunération et d’autre part la valeur du point d’indice.

La désindexation de la valeur du point d’indice, présentée à l’époque comme une mesure de lutte contre l’inflation, avait en principe en contrepartie des négociations salariales régulières pour rattraper la perte de valeur du point d’indice relativement à l’évolution du coût de la vie. En réalité, cela entraînait déjà un recul mécanique du pouvoir d’achat. En effet, au-delà des débats sur la véracité et la sincérité de la mesure du « coût de la vie » — débats déjà présents à l’époque de l’indexation automatique — la mesure de « rattrapage » n’intervenant qu’a posteriori, pour l’année suivante, alors que l’inflation, même atténuée par rapport aux années soixante-dix, se poursuivait, les pertes cumulées au cours d’une année n’étaient jamais restituées et s’additionnaient donc d’une année à l’autre.

Mais la mesure la plus pernicieuse et la plus grave pour notre pouvoir d’achat est d’avoir substitué à une appréciation « en niveau » de notre pouvoir d’achat une appréciation « en masse » salariale globale, en principe hors recrutements supplémentaires, mais certains gouvernements n’ont pas hésité à communiquer sur les augmentations des fonctionnaires en intégrant aussi, au moins partiellement, dans l’augmentation globale du volume des rémunérations les créations d’emplois supplémentaires. Même sans cette entourloupe surajoutée, le principe de l’évaluation en masse et non plus en niveau revient à déconnecter la valeur du point d’indice de l’évolution des prix et à faire compenser la hausse du coût de la vie par la carrière, c’est-à-dire les changements d’échelons, voire de grades ou de corps. La valeur du point d’indice a ainsi perdu plus du quart de sa valeur depuis 1982. Si dans les histoires individuelles, la perte de pouvoir d’achat n’a pas été de cette ampleur, en raison des effets de carrière, cela entraîne des conséquences importantes qu’il convient de souligner.

  • Faire peser sur la carrière le « maintien » du pouvoir d’achat ou plus exactement le « rattrapage » des pertes accumulées sur une période plus ou moins longue, revient à nier l’idée même de carrière, c’est dire l’idée d’une progression du niveau de vie au fur et à mesure que s’accroissent l’expérience et la technicité. C’est d’autant plus scandaleux que la modicité des rémunérations en début de carrière, à qualifications comparables avec le marché du travail en général, devait être compensée par cette perspective d’évolution.
  • Pour un même corps, chaque année, chaque nouvelle cohorte de néo-recrutés est rémunérée de 0,7 à 1,2 points de pourcentage en moins que celle de l’année précédente. D’une année sur l’autre cela ne représente pas une vraie différence de niveau de vie, mais au bout de 25 ans, cela représente une différence de plus de trois mois de salaire, mesure significative d’une réelle paupérisation des fonctionnaires.
  • Les promotions d’échelons, de grade ou de corps « au mérite », déjà contestables dans leur principe puisque cette reconnaissance du « mérite » — qui pose toujours la redoutable question de qui en juge, sur quels critères et par rapport à quel référentiel — est a priori contingentée, deviennent insupportables dans la mesure où elles ne visent plus à améliorer les revenus des plus « méritants » mais à déterminer ceux qui rattraperont le plus et le plus vite les pertes subies, ou plus vraisemblablement, ceux qui perdront le moins.
  • Les fonctionnaires qui arrivent au terme de leur carrière — terme d’autant plus précoce qu’ils auront été reconnus « méritants » — et les retraité avant 2003, n’ayant plus de possibilité de progression de carrière, subissent complètement l’érosion de la valeur du point d’indice : plus rien ne vient compenser la perte de leur pouvoir d’achat. Ainsi, un professeur certifié arrivé jeune, après une carrière « au grand choix » au dernier échelon de la hors classe aura sans doute dans un premier temps compensé plus qu’un autre la chute de la valeur du point d’indice, mais dès lors son niveau de vie ne cesse de se dégrader. Depuis 2003, les pensions sont de nouveau liées à l’évaluation du « coût de la vie », mais l’assiette initiale de mise en œuvre de ces « rattrapages » a nécessairement subi la dévalorisation liée aux pertes continues de pouvoir d’achat des fonctionnaires.

Au moment où la question du pouvoir d’achat revient au premier plan de l’actualité, nous devons imposer l’idée que la défense du pouvoir d’achat des fonctionnaires implique le maintien de la valeur du point d’indice relativement au « coût de la vie », indépendamment des mesures de revalorisations nécessaires de certains métiers du service public et des salaires les plus bas : obtenir de telles revalorisation sans garantir le pouvoir d’achat de la valeur du point reviendrait à perdre très vite les avancées ainsi obtenues, comme les enseignants du second degré en ont fait l’expérience avec la revalorisation de 89 aujourd’hui très largement effacée, d’autant que l’un de ses aspects avait été le raccourcissement des premier échelons en échange de l’allongement des derniers.