Journée idéale ce 27 novembre à Lyon : grandes messes matinales sans aucun enseignant pour parler d’éducation prioritaire, de partenariat. Et l’après-midi, gargarismes autour du pilotage.
Alors que le budget ne mise que sur la baisse du nombre de ZEP, que beaucoup d’acteurs demandent que les indicateurs de l’éducation prioritaire et de la politique de la ville soient les mêmes, que la réforme de la politique de la ville prévoit une division par 2 des zones aidées, la dernière enquête PISA montre un accroissement des inégalités et une pauvreté qui cesse d’augmenter (1 Français sur 15 vit sous le seuil de pauvreté, 29 % des collégiens boursiers...)
Le ton était tout autre la veille, lors des « contre-assises » organisées par le SNES-FSU pour donner la parole aux personnels, comme en témoigne notre collègue.
Nous sommes le mardi 26 novembre 2013 dans la salle de réunion du SNES à Lyon. Autour de la table, des enseignants venus d’établissements en éducation prioritaire des académies de Dijon, Grenoble et Lyon. Il n’y a pas foule mais les enseignants invités à s’exprimer le lendemain aux assises inter-académiques seront peut-être encore moins nombreux. Alors ce mardi, au SNES, on s’exprime et on tente de faire le bilan de ce qui a été dit dans les divers établissements classés éducation prioritaire dans les trois académies.
Commençons par ce dont on parle le moins : le pilotage. C’était l’un des six sujets imposés par l’institution lors des assises organisées dans les établissements et c’est sans doute celui qui a le moins motivé les foules. Dans sa synthèse académique lourde d’une cinquantaine de pages, le rectorat de Lyon n’a réussi à lui consacrer qu’une seule page. Et pas complète. Faudrait-il en déduire que les enseignants de l’éducation prioritaire ne demande pas à être pilotés ? Ce n’est pas ce que semble estimer l’institution puisqu’après les discours du matin, le reste des assises inter-académiques du mercredi 27 devrait être consacré à des travaux en commissions sur le... pilotage. Un sujet qui passionnera peut-être les chefs d’établissement et les inspecteurs présents mais qui est à des années lumières des aspirations des enseignants.
Mais quelles sont donc ces revendications de l’enseignant en l’éducation prioritaire (que nous nommerons prof en ZEP dans la suite) ? Plus de primes ? Plus de points pour muter ? Plus de cases à cocher ? Et bien non. Sans doute rétrograde et incapable de comprendre ce qu’on s’applique pourtant depuis longtemps à lui expliquer, le prof en ZEP veut encore et toujours la même chose et ose argumenter en prétextant penser d’abord à l’intérêt de ses élèves. Il veut :
– moins d’élèves dans les classes, ne serait-ce que pour garantir une gestion satisfaisante des difficultés de chacun dans un climat serein.
Selon des études présentées par l’institution, moins d’élèves ne permettrait pas plus de réussite. D’autres études prétendent le contraire et en particulier qu’une baisse radicale des effectifs aurait un impact important. Mais au delà de ces études, le quotidien des enseignants est simple : un groupe classe hétérogène avec des élèves présentant des difficultés scolaires, médicales, sociales... diverses est gérable jusqu’à un seuil situé autour de la vingtaine. Au delà, cela devient explosif et la tension qui s’installe crée un climat d’insécurité pour les élèves comme l’enseignant peu propice aux apprentissages.
– du temps pour se former, se concerter avec ses collègues du collège mais aussi du primaire et du lycée, réfléchir à ses pratiques, concevoir son métier... afin d’aider au mieux ses élèves et les faire réussir avec les mêmes exigences qu’ailleurs.
L’éducation prioritaire ne peut pas être un laboratoire d’expérimentation de la baisse des exigences au prétexte que ses élèves ont plus de difficultés à réussir. Elle doit avoir les moyens de l’expérimentation et de la réflexion autour d’une seule idée fédératrice : tous les élèves ont le droit de réussir à atteindre le même niveau d’exigences et ce sont les méthodes et les chemins pour arriver à cette réussite qui diffèrent. Il faut donc plus de moyens là où cela est nécessaire. L’institution prétend déverser inutilement ces moyens sur une éducation prioritaire au périmètre trop vaste. La réalité sur le terrain, c’est la disparition rapide de tous les moyens financiers accordés à l’éducation prioritaire, en particulier ceux qui venaient de l’éducation nationale, et par conséquent la disparition des actions mises en place grâce à ces crédits. Au final, l’éducation prioritaire ne garantit essentiellement que des seuils d’effectif par niveau plus ou moins hauts selon les académies et les départements.
Les moyens demandés sont ceux de la concertation. Pour répondre aux besoins de classes en difficulté il faut du temps de concertation en équipe pédagogique. Pour penser autrement ses pratiques et son évaluation, il faut du temps de concertation en équipe disciplinaire. Pour réussir à articuler le collège avec l’école et les lycées il faut du temps de concertation avec les enseignants de ces structures qui, s’ils font le même métier, sont souvent confrontés à des réalités différentes.
Les moyens demandés sont ceux de la formation. Enseigner est un métier qui s’apprend et les apprentis enseignants ont besoin qu’on leur laisse ce temps d’apprentissage. Enseigner est un métier qui évolue et les enseignants même chevronnés ont besoin de temps de formation continue pour continuer à concevoir leur métier en prenant en compte ces évolutions.
– des conditions de travail lui permettant de faire son travail d’enseignant, ce qui signifie entre autres la présence de personnels compétents et formés pour assurer les tâches qui ne sont pas celles du prof (COPSY, AS, CPE, infirmières...) en nombre suffisant et des moyens dans les budgets et les DGH pour mettre en place les actions nécessaires.
Ce que les enseignants savent faire, ce qu’ils veulent faire, c’est enseigner. Mais les économies faites sur le dos de l’éducation nationale ont fini par la priver de personnels dont les missions sont essentielles à la réussite des élèves. Certaines de ces missions ont été imposées aux enseignants. Dans le meilleur des cas, cette charge de travail supplémentaire a fini par grignoter le temps qui peut être consacré aux préparations de cours, évaluation et suivi pédagogique des élèves. Trop souvent elles sont en plus source de malaise, voire de souffrance, en mettant en difficulté des enseignants non formés pour les tâches qui leurs sont attribuées et qui se trouvent confrontés à l’impossibilité de répondre de manière satisfaisante aux attentes des élèves, des familles et de l’institution.
Même quand il s’agit simplement d’enseigner, les enseignants sont parfois mis en situation d’échec par l’institution. Ils ont depuis longtemps prouvé qu’ils ont des idées pour aider leurs élèves à surmonter leurs difficultés, à redonner du sens à l’école, à avoir confiance dans l’équipe d’adultes qui les entoure au collège... en particulier dans l’éducation prioritaire. Mais trop souvent, ces actions nécessitent des moyens qui, lorsqu’ils sont mis à disposition des équipes, sont rarement pérennisés et disparaissent d’une année sur l’autre au gré des décisions ministérielles, rectorales ou même locales.
Dans les ZEP qui ont obtenu les moyens de construire des actions dans l’intérêt des élèves, les enseignants ne demandaient que peu de mutation. Les équipes étaient stables. Lorsque les moyens ont commencé à manquer, lorsque les conditions de travail se sont détériorées, les mutations se sont multipliées. À travers les chiffres concernant les demandes de mutations depuis la création des ZEP, l’institution qui pose la question de la stabilisation des équipes enseignantes en éducation prioritaire a pourtant un moyen simple de vérifier cette réalité : quand on leur donne les moyens de s’épanouir dans leur travail en direction d’un public même (surtout ?) difficile, les enseignants restent.
– des équipes de directions compétentes et stables.
Tiens, voilà une drôle d’idée : pourquoi ne parlerait-on que des compétences et de la stabilité des équipes d’enseignants ? La rotation des équipes de direction en éducation prioritaire est rapide puisqu’il s’agit souvent d’un tremplin vers des postes de direction plus prestigieux et mieux rémunérés. Les personnels de direction compétents partent souvent rapidement, les autres restent un peu plus longtemps. Les profs en ZEP connaissent l’importance d’une équipe de direction solide et solidaire avec ses enseignants dans la difficulté comme dans la mise en place d’actions pédagogiques.
– la fin d’une politique comptable menée bien plus par le souci de réduire les dépenses publique que par le souci de la réussite des élèves.
Le prof en ZEP ose penser au delà de sa salle de classe. Quand il entend qu’il y a trop d’établissements en éducation prioritaire, il se dit par exemple que lorsque l’observatoire national de la pauvreté (organisme institutionnel) pointe que plus de 20% des élèves français sont dans des situations de grande pauvreté, il est cohérent que presque 20% des collèges de France soient en éducation prioritaire. D’autant que la pauvreté n’est pas le seul critère pertinent définissant l’éducation prioritaire... Il se dit aussi que l’école ne peut pas tout et que son action doit s’intégrer dans une politique sociale plus large visant à la réduction des inégalités et menée tant au niveau national qu’à celui des collectivités locales.
Enfin, le prof en ZEP aurait bien aimé qu’on l’écoute vraiment le jour où se pose la question de la refonte de la politique de l’éducation prioritaire. Cela sonne pourtant comme une évidence. Mais il faut croire que cela n’en est pas une. Alors le mardi 26 novembre 2013 dans la salle de réunion du SNES à Lyon, les profs en ZEP ont échangé, partagé leurs expérience et présenté leurs revendications à la presse qui avait été invitée à les rencontrer. Et le lendemain, les représentants de la FSU qui, à leur demande, ont été invités aux assises inter-académiques auront eu la difficile tâche de transmettre à l’institution le contenu de ces discussions, si on les laisse s’exprimer. Mais ça, c’est une autre histoire...