15 février 2020

Retraite et Protection sociale

4 - Les « bobards » gouvernementaux autour de la valeur du point

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La grande différence entre le régime actuel de retraite et la réforme à points tient à la façon de cotiser.
Actuellement, les salariés cotisent pour valider des trimestres, à partir de 2025 ils cotiseront pour acquérir des points. C’est le nombre de points accumulés tout au long de votre carrière qui servira au calcul de la pension.

Le 11 décembre, le premier ministre annonçait devant le CESE «  qu’une règle d’or précisera que la valeur du point ne pourra pas baisser  ». L’article 9 du projet de loi présenté le 24 janvier en Conseil des ministres et qui sera soumis au vote des parlementaires affirme :
«  Les valeurs d’acquisition et de service du point seront déterminées par le conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite universelle, en tenant compte des projections financières du système de retraite. La valeur du point ne pourra pas baisser, cette garantie étant inscrite à l’article 55 du projet de loi.  »

De quoi parle-t-on ?

Il y a en effet plusieurs notions distinctes autour de la « valeur du point » :

Il existe d’abord la valeur d’achat du point qui correspond au montant de cotisations nécessaire à l’acquisition d’1 point. Dans le rapport de Delevoye, elle était fixée à 10 euros.

Vient ensuite la valeur de service ( ou de liquidation ) du point. Celle-ci correspond à la valeur du point au moment où la personne part à la retraite. Elle serait de 0,55 en 2025 ( toujours selon Delevoye ) pour un départ à l’âge d’équilibre soit 64 ans. 1 point donne droit à 0,55 euro de pension.

Nous avons donc un rendement de 5,5 % qui est le rapport entre la valeur de service divisée par la valeur d’achat. Concrètement, pour 100 euros cotisés vous auriez donc droit à 5,50 euros de retraite.

Que la valeur du point ( de service ) ne baisse pas, est-ce une garantie sur le montant futur des pensions ?

Regardons de près …

La valeur de service reste stable à 0,55. Mais si en parallèle la valeur d’achat de votre point augmente, par exemple à 11 euros, alors le rendement se dégrade : vous obtenez un taux de conversion de 5 ( soit 55 divisés par 11 ) au lieu de 5,50. 100 euros cotisés ne vous « rapporteront » plus que 5 euros de retraite. Vous allez donc y perdre. Vous devrez amasser beaucoup plus de points pour maintenir votre niveau de retraite. C’est là qu’est le piège d’un système à points.

Pour que cette mésaventure ne vous arrive pas, il faudrait que la valeur de service et la valeur d’achat évoluent au même rythme, ce qui est prévu en théorie dans le texte de loi, mais seulement en théorie.

Retenons la leçon du régime complémentaire des salariés du privé Agirc-Arcco : dans les années 90, le rendement ( rapport entre valeur de service et valeur d’achat ) était de 9,5. Il est aujourd’hui de 5,9 et, ce, sans que la valeur du point de service ait jamais baissé. Il est possible de baisser le niveau de pension en augmentant la valeur d’achat du point.

Depuis 2002, le constat est sans appel :

Côté Agirc, la valeur d’achat du point a augmenté de 35,83 % alors que sa valeur de service n’augmentait que de 17,6 %¹. Le « prix » du point à l’achat a donc augmenté deux fois plus vite que sa valeur de service.
Côté Arrco, la valeur d’achat a grimpé de 36,12 % alors que la valeur de service ne montait que de 19,60 %. Dans les deux cas, il s’est passé ceci : en achetant le même stock de points, année après année, les salariés ont obtenu des retraites complémentaires de plus en plus basses.

Mais l’entourloupe ne s’arrête pas là, puisque les pensions seront dégradées avec l’instauration de «  l’âge d’équilibre ».

Par exemple si une personne part à 63 ans en 2025 alors que « l’âge d’équilibre » de sa génération est de 64 ans, elle toucherait pour chaque point 95 % de sa « valeur de service » ( 5 % de décote ) car il lui manque un an avant d’atteindre « l’âge d’équilibre ».

Pour une personne dont « l’âge d’équilibre » serait porté à 65 ans, si elle part également à 63 ans, elle toucherait donc pour chaque point seulement 90 % de sa valeur de service ( 10 % de décote ).

Le décalage de cet « âge d’équilibre » ( selon la hausse de l’espérance de vie ) conduirait donc, mécaniquement, à une augmentation de la décote pour un départ au même âge.

Même si la "valeur de service", augmentait chaque année aussi vite que les salaires ( indexation choisie par Delevoye et Édouard Philippe, aujourd’hui remise en cause ² ), la valeur effective du point à la « vente » à un âge donné, elle, augmenterait nettement moins vite. La conséquence immédiate de ce mécanisme est que la véritable valeur, en montant de retraite sonnant et trébuchant, que l’on toucherait pour un point à un âge donné, diminuerait par rapport au salaire moyen.

Il y a donc une baisse programmée du taux de remplacement ( rapport calculé en pourcentage entre la pension de retraite et le dernier revenu d’activité ) à un âge donné.

Finalement, le montant des futures pensions évoluerait dans le temps en fonction de trois paramètres différents : La valeur d’achat du point, la valeur de service du point et l’âge d’équilibre. Est-ce que ce système a une plus grande lisibilité qu’actuellement ?
Certes pas !!!

Dans le système actuel, à prestations définies, on peut avoir assez facilement une bonne estimation du montant de sa pension avec un taux de remplacement connu à l’avance.
Ce n’est plus le cas avec un système par points qui est à cotisations définies. Personne ne pourra dire avec certitude combien il touchera à la retraite. Et c’est là le gros problème !!!

De plus, que se passera-t-il en cas de crise économique, si les recettes du système diminuent ?
Ces trois paramètres serviraient de variables d’ajustement en cas de conjoncture défavorable pour garantir le sacro-saint équilibre financier du système.


La « règle d’or » dont on nous rebat les oreilles ne garantit en rien le montant futur des pensions : elles vont décrocher en continu par rapport aux salaires, ce que nous refusons.


- Marie-Laurence MOROS -


¹ Source officielle | Retraite complémentaire Agirc-Arrco, 1er novembre 2019 : Historique, valeur du point, salaire de référence.

² Dans le projet de loi et l’étude d’impact, les valeurs d’achat et de service du point sont modulées selon l’évolution annuelle du « Revenu Moyen Par Tête ( RMPT ) ». Cet indicateur n’existe pas encore, il est à construire !!!
Écouter le témoignage audio d’agents de l’INSEE sur « Là-bas si j’y suis » ( 16 min. ) et voir, ci-dessous, le tract de l’intersyndicale.

Les statisticiens de l’INSEE contre
la création du nouvel indice RMPT
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