![Trois questions d'Economie](local/cache-vignettes/L848xH555/evolution_pib-19731.png?1739268386)
Cet article est le premier d’une série en chantier qui s’intitulera « petite phénoménologie du foutage de gueule ordinaire ».
Il s’insère dans la première partie consacrée à la « maquereaux-économie »
Dans la recherche des budgets 2025 introuvables, celui de l’Etat comme celui de la Sécurité Sociale, les discours politiques et patronaux, complaisamment relayés par les laquais médiatiques fournissent ces temps-ci de nombreux exemples pour l’objet de notre étude, le foutage de gueule ordinaire. Les adjectifs fleurissent : la dette est abyssale, les dépenses publiques sont incontrôlées, les impôts insupportables, les fonctionnaires trop nombreux et leur efficacité discutable, etc. La Cour des Comptes joue les mouches du coche et même l’audiovisuel public (France Info ici) préfère organiser un débat sur le thème « où et comment faire des économies de dépenses publiques ? », plutôt que « comment financer l’Etat social auquel aspirent nos concitoyens ? »
Nous reviendrons plus tard sur les dépenses publiques, la dette, l’impôt, mais il convient en premier lieu de rappeler une évidence : notre pays n’a jamais été aussi riche, et il l’est davantage chaque année. On me reprochera peut-être d’enfoncer une porte ouverte, mais, si ouverte soit-elle, elle est bien dissimulée par d’épais rideaux de fumée !
Les séries longues de l’INSEE, disponibles sur le portail numérique de cet institut, permettent de le mesurer, dans sa réalité comme dans son ampleur. Le Produit Intérieur Brut (PIB), si imparfait et discutable que soit cet indicateur, a le mérite de montrer, par son évolution depuis plusieurs décennies, cette réalité qui semble complètement absente du débat public et ignorée de tous ceux qui, acteurs économiques et politiques ou commentateurs, savent si bien nous expliquer la dureté des temps et la nécessité de se serrer la ceinture.
La production de richesses a été multipliée par plus de cinq depuis 1950. En dépit de quelques fléchissements au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, la croissance est constante ; l’année 2020 est la seule année de récession ; le ralentissement des activités, lié au confinement, n’est pas seul en cause : le démantèlement du tissu industriel et l’asphyxie de la recherche scientifique depuis plusieurs années ont amené à des importations massives de tenues de protection et de vaccins. Or, la balance commerciale est une des composantes du PIB ; son déficit s’est creusé en même temps que le ralentissement des productions et la consommation des ménages, autres composantes du PIB. Nous reviendrons plus tard sur la gestion de la crise du COVID, car elle recèle de nombreuses pépites pour notre phénoménologie. On peut constater que dès l’année suivante, la courbe repart à la hausse et se poursuit.
Nous vivons donc dans un pays de plus en plus riche. On peut le dire autrement : les travailleurs de ce pays, français ou immigrés, en situation régulière ou clandestins, produisent chaque année plus de richesses que l’année précédente !
A ceux qui objecteraient que la population de notre pays a augmenté depuis 1950 et que si le gâteau est plus gros, les convives sont plus nombreux, nous pouvons répondre que la courbe du PIB/habitant n’a rien à envier à celle du PIB !
Dans les années soixante le PIB est de l’ordre de 10 000 euros par habitant pour doubler dans les années quatre-vingt-dix ; on dépasse les 25 000 euros au cours des années deux-mille et les 30 000 euros dans les années deux-mille-dix ; aujourd’hui le PIB/habitant est de l’ordre de 38 000 euros environ, même si l’INSEE n’a pas encore consolidé les résultats des deux dernières années.
Chaque année, les associations militantes telles le « Secours populaire » ou caritatives, « Secours catholique », « Restos du Cœur » par exemple, nous alertent : la pauvreté croît dans notre pays, en nombre de victimes comme en intensité. Désormais, aux marginaux, exclus, chômeurs de longue durée de naguère, s’ajoutent des étudiants de plus en plus nombreux et les travailleurs pauvres dont le salaire ne permet pas de satisfaire les besoins les plus essentiels.
C’est la première des trois questions d’économie qui ne sont jamais posées, ni aux spécialistes ou experts, ni aux dirigeants économiques ou politiques qui savent si bien nous expliquer que les revendications les plus légitimes ne peuvent être satisfaites faute de moyens et que, si certains n’en sont pas convaincus, c’est par stupidité, aveuglement ou embrigadement ; tout au plus peuvent-ils concéder qu’ils ont, pour leur part, manqué de pédagogie : comment se fait-il que dans un pays de plus en plus riche, y compris relativement à sa population, il existe de plus en plus de pauvres, de plus en plus pauvre ?
Même si la croissance est réelle, sa progression reste de l’ordre d’un à deux pour cent, deux et demi les meilleures années. Or, dans le même temps, actionnaires, rentiers ou autres parasites qui « ne se sont donné que la peine de naître » pour profiter de la fortune héritée, continuent d’exiger et surtout d’obtenir des rendements plusieurs fois supérieurs à la croissance des richesses produites. Les revues spécialisées publient régulièrement des palmarès des meilleurs placements à moyen et long terme ; sur les quarante dernières années, les actions ont pu rapporter jusqu’à 12% ; les placements immobiliers viennent en seconde position, avec presque 10%, avec probablement de très fortes disparités selon les régions, la situation et le type de bien ; même les placements moins performants, mais plus sûrs, obtiennent des rendements supérieurs à la création de richesses. La seconde question vient donc naturellement : comment ces nantis parasites peuvent-ils obtenir de tels retours sur investissements et qui paie la différence ?
La troisième question vient immédiatement et il est surprenant que des journalistes qui sortent des plus grandes écoles de journalisme après de brillantes études dans d’autres grandes écoles, ne l’abordent jamais : ne peut-on établir une corrélation entre les réponses aux deux premières questions ?
Pour ma part, je savais depuis longtemps que « la main invisible du marché » me faisait les poches, mais j’ai de plus en plus la sensation qu’elle se permet désormais des gestes d’une privauté rare qui, je l’affirme, n’est nullement consentie et encore moins sollicitée !
Jacques AGNES