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Je différencie, tu différencies, ils/elles différencient… Inutile de se poser trop de questions, le « bon prof » est celui qui sait mettre en œuvre une pédagogie différenciée pour faire réussir tous les élèves.
Soyons tout de même un peu pénibles (on est au SNES-FSU). Que mettons-nous derrière l’idée de « réussite de tous les élèves » ? L’école ambitieuse pour tous ? Le pari du « Tous capables » du GFEN des années 70 ? L’idée que le fils d’ouvrier qui fréquente l’école publique a autant de chances que son voisin fortuné de pouvoir accéder aux études supérieures ?
Le rapport Thélot en 2004, qui préconisa l’abandon de l’objectif de 80 % d’une classe d’âge au niveau du bac au profit de la définition d’un « socle commun » n’est pas vraiment sur la même longueur d’ondes : « La notion de réussite pour tous ne doit pas prêter à malentendu. Elle ne veut certainement pas dire que l’École doit se proposer de faire que tous les élèves atteignent les qualifications scolaires les plus élevées. Ce serait à la fois une illusion pour les individus et une absurdité sociale puisque les qualifications scolaires ne seraient plus associées, même vaguement, à la structure des emplois ».
Ah ! Il pourrait donc y avoir malentendu ? Réussite pour tous pourrait ne pas signifier RÉUSSITE POUR TOUS ? Eh bien, non ! Dans une conception de l’éducation qui vise avant tout la rentabilité, il y a 2 écoles : une école pour les élites et une école du « socle des indispensables » pour les autres. Et qui sont « les autres », ces élèves « les plus fragiles » du rapport Thélot ?
Avec des classes surchargées, des dispositifs de prise ne charge des élèves en difficultés de plus en plus indigents dès le primaire, des redoublements devenus « exceptionnels » car prétendus « inutiles » sans autre dispositif de remédiation, l’élève « fragile » est celui qui est déjà faible en CP voire dès son entrée en petite section de maternelle. L’élève « fragile » est celui qui n’a pas, à la maison, déjà intégré les attendus de l’école, celui qui attend d’être à l’école pour « faire l’école », celui qui n’a que l’école pour apprendre les savoirs et raisonnements scolaires. (faire l’école à l’école, d’après Stéphane Bonnery, Comprendre l’échec scolaire).
C’est bien dans ce cadre que l’on se doit d’interroger les objectifs des « innovations pédagogiques » actuelles, et notamment la personnalisation (et la différenciation) des pratiques pédagogiques.
Évidemment, la prise en compte de la diversité des élèves de leurs difficultés est un impératif, mais il convient d’examiner de plus près ce que l’on entend par « différenciation ». Sans renoncer à la démocratisation scolaire et sans démagogie, la différenciation consisterait à envisager des scénarios d’apprentissages différents selon les élèves, si, et seulement si, les différentes tâches permettent le même apprentissage, ont le même objectif (voir ici aussi les travaux d’André Tricot ou de Stéphane Bonnery).
Lorsque la personnalisation et la différenciation pédagogique signifient dans les faits que les objectifs ne sont pas les mêmes pour tous, alors ces « pratiques innovantes », loin de résorber les inégalités, ne font que les entretenir. Pour Jacques Bernardin, « la différenciation consiste souvent à simplifier, segmenter, guider et aider davantage, au risque d’affadir l’enjeu des tâches, de pulvériser l’unité de l’activité, de conforter la dépendance. Le résultat de ces aménagements : la paix dans la classe... mais une dispersion croissante des acquis.(1) »
Tiraillés en permanence entre la volonté de faire accéder le plus grand nombre à une culture commune, émancipatrice et la réalité de la prise en charge des élèves dans les classes, nous sommes tous en recherche de solutions concrètes et de nouvelles pratiques. Pour autant, la différenciation telle que nous la pratiquons le plus souvent dans nos classes est-elle la solution à une meilleure prise en compte de l’hétérogénéité des niveaux des élèves, à un meilleur accompagnement des élèves en difficulté ?
Malheureusement la réponse est souvent « pas toujours » ou plutôt toujours « pas souvent » !
Marchandisation et logiques libérales à l’œuvre dans l’orientation au collège
« Vous devez travailler votre projet d’orientation », « Soyez moins dispersé et plus actif pour surmonter vos difficultés et préparer votre dossier d’orientation dans une voie professionnelle choisie », « Il faut réagir de toute urgence pour construire votre projet d’orientation », « Essayez de vous investir en classe si vous ne voulez pas compromettre vos chances de pouvoir choisir votre orientation l’année prochaine ». Des injonctions que l’on rencontre de plus en plus tôt (4e, 5e) au bas des bulletins de nos élèves.
Dommage collatéral de l’école du socle (ou école à 2 vitesses), les élèves doivent de plus en plus jeunes préparer leur orientation, leur projet pour la vie future. Que demande-t-on au juste à un enfant de 13/14 ans en classe de 4e (12/13 ans en 5e) ? Choisir son orientation ? Sa voie professionnelle ?
Certains auront davantage de temps puisque la question peut encore attendre (un peu seulement, la réforme du lycée est en marche !). Ceux qui sont en difficulté sont pressés de définir ce « projet », ceux-là même qui ont le plus de difficulté à envisager l’avenir, à se projeter.
Au SNES-FSU, à l’opposé de l’idéologie capitaliste de rentabilisation de l’école, nous continuons à dénoncer l’orientation précoce des élèves et la logique du tri social qui sous-tend toutes les réformes actuelles. Mettre en avant les résultats Pisa/Pirls pour dénoncer un système français qui reproduit les inégalités sociales à l’école… pour imposer des réformes dont on sait qu’elles aggravent ces inégalités, décidément, le cynisme de nos dirigeants actuels n’a aucune limite !
Et la bienveillance dans tout cela ?
(1) : “Tous capables ! Du pari éthique à la loi d’orientation”. En ligne : http://www.gfen.asso.fr/images/documents/tous_capables_du_pari_ethique_2014.pdf